Ce soir, comme promis, continuons notre lecture du livre II d'Ab Urbe Condita (= "Depuis la fondation de Rome") de Tite-Live ! Au menu, des patriciens vexés, des légendes héroïsant à mort les grandes familles et beaucoup, beaucoup, beaucoup de bisbilles autour de lois pour savoir à qui que sont les champs.
Tite-Live, livre II, épisode 2 : un THREAD
Mais tout d'abord, si vous découvrez ce thread et n'avez point lu du Livounet, retrouvez les épisodes précédents ici :
> Livre I, épisode 1 : la royauté, jusqu'ici tout va bien : https://mastodon.top/@hist_myth/112792214027813066
> Livre I, épisode 2 : la royauté, c'est carrément le déclin : https://mastodon.top/@hist_myth/112831548405415415
> Livre II, épisode 1 : la république et la Lutte des Ordres, le début (et pas la fin) : https://mastodon.top/@hist_myth/112916453684941402
DONC ! Dans l'épisode précédent, les grandes familles patriciennes s'étaient vues contraintes et forcées de créer des tribuns de la plèbe détenant droit de veto et inviolabilité.
Et OH BOY comme ils vont le regretter.
ET OOOOH BOY comme ça va se sentir dans les sources.
D'ailleurs, Livounet, que lui ou que ses sources soient pas top de gauche, adopte dans son récit un point de vue plutôt pro-patricien que ce thread, étant sur Masto le repaire des gauchistes, va tempérer.
Donc si vous voulez vous faire une idée exacte de Tite-Live rajoutez mentalement à ce thread toutes sortes de récriminations sur la plèbe agitée, inconstante, tumultueuse, enragée, etc.
Repartons en 495. Comme précédemment, Rome se bagarre avec tous ses voisins, et cette année-là l'un de ses consuls se coltine les Volsci, dont il prend les cités Longula et Polusca. Il arrive à la citadelle de Coriolae, mais pendant qu'il l'assiège, paf ! des renforts ennemis attaquent l'armée romaine.
Les Volsci refluent et la cité de Coriolae est prise !
Gros succès à Rome du jeune Cnaeus Marcius, qui en devient plus célèbre que le consul chef de l'armée.
Survient l'année 494 av. J.-C. et Rome, sans guerre ni sécession, va bien... ? En fait non. Les troubles de l'année précédente n'ont pas permis de cultiver la terre et c'est la famine. Les consuls flippés achètent du blé en masse comme des touristes américains les mascottes clitoridoïdes des JO. Quand, en 493, arrive du blé en plus...
... les Pères se disent : "hey, puisqu'on détient tout ce blé, si on l'utilisait pour faire pression faire céder à la plèbe ses acquis politiques ? Genre on la fait chanter sinon on laisse le blé très cher ?"
Je vous laisse commenter la charmance de cette idée.
En tout cas Cnaeus Marcius, remonté comme Laurent Wauquiez parlant des chômeurs lors d'un dîner à 10 000 €, glapit : "Ils veulent du blé ? Pas de tribuns ! Ou laissez-les crever ! Ils finiront bien par bosser au lieu de protester !"
On le voit, notre ami Cnaeus Marcius, doté pour sa victoire du doux surnom de Coriolanus, est plutôt un type, je ne crains pas de le dire, de droite.
A côté Alain Madelin est un marxiste-léniniste prônant le revenu universel.
Mais enfin le sénat trouve que Coriolanus a fumé, la plèbe menace aussi de prendre les armes. Et évidemment, Coriolanus récolte ce qu'il a semé : les tribuns de la plèbe lui collent un procès devant le peuple.
(Ce que les notes de mon édition jugent anachronique.)
– Peuh ! fit Coriolanus, c'est même pas légal, ces gens sont des tribuns de la *plèbe*, pas de MOI, qui suis NOBLE.
– Euh, ah, peut-être tu devrais moins frimer ? susurrent les Pères plutôt inquiets.
Ils essaient alors de monter un lobby afin de sauver leur petit extrémiste préféré, envoyant leurs clients (= citoyens liés à d'autres plus riches par des relations de protection) menacer les plébéiens se rendant aux conciles, venant publiquement supplier le peuple de faire grâce...
Mais la propagande pro-Coriolanus fit long feu, et Coriolanus fut condamné.
Par contumace.
Prévoyant sa défaite, le zig s'était enfui. Et chez qui ? Chez les Volsci. Ceux-là même à qui il avait mis une raclée.
Les Volsci ne sont pas rancuniers. Oubliant les trucidation et incendies de Coriolae, ils accueillent Coriolanus. Le plus puissant d'entre eux, Attius Tullius, l'accueille à bras ouverts. Car il hait Rome. Et Coriolanus va haïr aussi Rome. Tous les deux, ils vont se venger de Rome.
[la suite après mon pokebowl]
Pendant ce temps à Rome, on préparait, je vous le donne en mille, de grands jeux. Et plus exactement les jeux romains, qu'on a vu fonder dans le livre I.
Elle avait fait son instauration (cérémonie sacrée vu que les jeux sont d'abord des rites religieux), mais hélas un type passant dans le cirque (où on se promenait comme dans la rue) en menant un esclave fourche au cou (en signe d'humiliation/condamnation à mort) avait irrité Jupiter.
Parce que Jupiter, tu vois, il est pas esclavagiste.
Jupiter apparaît donc en rêve à un Romain pour lui dire de dire aux consuls qu'il faut recommencer l'instauration ; le Romain hésite ; paf son fils meurt quelques jours plus tard ; Jupiter lui réapparaît en rêve ; le Romain hésite encore ; paf il est frappé de paralysie. "Bon, OK, j'y vais" fait le Romain, et il porte aux consuls le message de Jupiter. Il redit son message aux Pères et là pif pouf Jupiter le guérit de sa paralysie, on se croirait dans l'Ancien Testament.
Or donc début des jeux.
Le peuple des Volsci, amateur apparemment de courses, luttes et tout le tintouin, se presse aux jeux ; ce qui amène Attius Tullius le vil comploteur à venir trouver les autorités romaines et à leur glisser qu'à son avis, les Volsci du public, ben, vous savez, ils sont chauds bouillants, ils pourraient bien s'énerver, tout casser, bourriner comme des hooligans anglais, et causer l'incident diplomatique.
– Sabotage vandalisme bouh, s'émeut le sénat, et paf ils expulsent les Volsci reçus à Rome.
Les Volsci sont chassés de Rome, et l'ont mauvaise. Alors, quand sur la route les dignitaires volsci se font aborder par Attius Tullius qui leur fait monter la température, comme quoi les Romains, anciens ennemis, les traitent comme des chiens, il ne faut pas beaucoup les pousser pour que tout le peuple se révolte contre Rome.
Avec Cnaeus Marcius Coriolanus comme général.
Et Cnaeus Marcius, il rigole pas. Il roule sur les Romains au rythme d'un char d'assaut anachronique.
Il reprend toutes les villes que les Romains ont prises aux Volsci, il bouffe citadelle sur citadelle, il vous blitzkriege le Latium à en faire pleurer d'émotion les YouTubeurs de la fachosphère. Enfin il arrive aux portes de Rome, au fossé Cluilius, et pille les environs. Enfin, pas tous les environs. Il donne l'ordre de pas piller les terres des patriciens. Seulement de la plèbe. On est de droite ou on ne l'est pas.
Dans Rome, on s'écharpe.
– Les Pères sont des traîtres, dit la plèbe.
–Woh pff même pas vrai et pour vous le prouver contre Coriolanus on va se BATTRE ! répliquent les Pères.
– La guerre c'est mal, fait la plèbe.
– Passons nos troupes en revue, font les consuls.
– LA PAIX ! LA PAIX ! hurle la plèbe pacifiste.
– Fichus gauchistes woke, grognent les Pères, et ils envoient des ambassadeurs à Coriolanus.
– On fait la paix, Coriolanus ? font les ambassadeurs.
– Vous rendez leurs terres aux Volsci ? fait Coriolanus.
– Euaah, font les ambassadeurs.
– Alors la guerre.
Les ambassadeurs tentent une 2e négociation.
Coriolanus ne leur ouvre même pas son camp.
Les Pères envoient une délégation de prêtres avec leurs habits sacrés et tout le toutime.
Coriolanus leur dit nein.
Et puis, un matin, on réveille Coriolanus : "Palsambleu carabistouille, Rome nous envoie une armée de femmes !"
Un cortège de Romaines arrive en ambassadrices. Bien sûr, Coriolanus commence par sortir son machisme d'incel masculiniste. Jusqu'à ce qu'on lui dise :
"C'est pas ta mère, là ?"
Car à la tête du cortège de femmes, il y avait Veturia, mère de Coriolanus, et Volumnia, son épouse, avec leurs enfants.
– Maman ! Bisou ! fait Coriolanus en s'élançant vers le cortège.
– Pas touche, mauvais fils, réplique Veturia, tu crois que tu peux m'embrasser alors que tu attaques ton propre pays dans une agression qui ressemble fichtre pas mal à une tentative de putsch d'extrême droite ? [la narratrice glose un peu] Je vous jure ! Faites des gosses !
Et de lui passer un savon.
L'épouse de Coriolanus, Volumnia, pleure devant son mari, toutes les femmes pleurent et gémissent, et Coriolanus doit se dire qu'il a bien failli livrer toutes ces femmes dont la sienne au pillage et au viol whoopsie, car il lève le siège et abandonne toute tentative contre Rome. Il finit sa vie en exil, inventant cette phrase immortelle : "L'exil c'est carrément plus dur quand on est vieux."
Volsci et Aequi tentèrent de réattaquer Rome mais ils se bisbillèrent pour le poste de chef de l'armée.
Si bien que Rome arrive en 488 sans trop de dégâts. Après une bagarre avec les Hernici, elle annexe leur territoire, ce qui fait que Rome a, d'un coup, sur les bras, plein de terres "vides"..
Alors le consul Spurius Cassius propose une loi agraire.
La loi agraire à Rome, c'est LE sujet qui fâche, leur réforme des retraites à eux. Car elle décide des (re)distributions à la plèbe de terres conquises ou prises sur le domaine public, l'ager publicus, que les patriciens ont tendance à usurper.
– Yaka donner la moitié aux alliés Latins et l'autre à la plèbe ! fait le naïf Spurius Cassius.
– Eh, il veut acheter la plèbe pour devenir roi ou quoi ? protestent les Pères.
– Eh, d'où il donne une moitié des terres aux alliés ? râle la plèbe.
Bref, personne n'est content, et Spurius Cassius, dès la fin de son consulat, se fait condamner à mort pour ambitions dictatoriales. Selon des versions, son propre père (biologique) l'aurait jugé dans un tribunal familial et exécuté.
Cela dit, la plèbe soutenait le principe de la loi agraire. Dans les années qui suivirent, les tribuns de la plèbe poussèrent en faveur des lois agraires... et les Pères menèrent campagne en leur défaveur. Ils réussirent ainsi à faire élire à la suite trois consuls du clan des Fabii, une immense famille aristocratique fabuleusement riche : Quintus, Kaeso et Marcus Fabius. Tous trois faisant capoter les différentes propositions de lois agraires entre deux guerres avec Veii ou les Volsci.
Un 49-3 ? Déjà ?
@elzen Pas toujours mais de temps en temps
@hist_myth
Ah la la, pauvres romains, ils avaient déjà des "Gaulois réfractaires".