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Ce soir, suivons Énée baguenaudant en Italie dans sa tentative de fondation des fondateurs de Rome. Dans le livre précédent, Junon avait incité le vil Turnus, roi des Rutules, à soulever toute l'Italie contre le pieux Énée, sous prétexte qu'il lui aurait piqué sa meuf. Comment va-t-il réagir ? Comment s'empoignera-t-on ? Y aura-t-il de la baston, ou bien des ekphrasis et du léchage de bottes ?
L'Énéide, livre VIII, un THREAD ⬇️

Mais avant toute chose, si vous découvrez en cours de route les aventures d'Énée, reprenez-les dans l'ordre :
1/ incipit : mastodon.top/@hist_myth/111951
2/ kill the Trojans : mastodon.top/@hist_myth/111976
3/ Odyssée version Énée : mastodon.top/@hist_myth/112016
4/ DIDON (livre préféré de votre prof de latin) : mastodon.top/@hist_myth/112050
5/ les JO de Sicile -1177 : mastodon.top/@hist_myth/112118
6/ la catabase, c'est la base : mastodon.top/@hist_myth/112186
7/ manger des tables, c'est pas formidable : mastodon.top/@hist_myth/112259

DONC ! A la fin du livre précédent, Virgile nous avait catalogué, tel Homère dans son livre II, tous les méchants Italiens venus bouffer du Troyen aussi impitoyablement que votre antivirus. Début du livre VIII, le camp rutule et assimilés semble bien parti, vu qu'Énée a un total de zéro allié. Les Rutules envoient même une ambassade au grec Diomède, arrivé en Italie à la suite d'un mythe à vous raconter une prochaine fois.

Diomède a déjà bouffé du Troyen, il peut sûrement recommencer.

Énée, ce soir-là, se couche donc bien embêté, si embêté que Virgile compare ses pensées aux scintillations d'un reflet de lune dans un bol plein d'eau, et quand un poète épique sort à votre sujet une comparaison tordue vous savez que vous êtes dans la merdaille.

Mais voilà, Énée, comme 100 % des fois où on le voit dormir dans ce livre, fait UN RÊVE, et ce rêve le voici.

Il rêve d'un vieux type tout bleu avec des cornes.

Vous aurez tous et toutes reconnu le dieu du fleuve Tibre.

"T'inquiète poulette, dit le Tibre tu es bien chez toi par ici. D'ailleurs, on t'avait prédit que tu devrais manger tes tables et trouver une truie entourée de porcelets. Je vois que tu es déjà meublophage. Demain tu trouveras une truie blanche très bientôt, et c'est le signe que ton fils fondera Albe (la blanche) dans 30 ans.
"Cela dit, tu as une guerre sur les bras. Remonte donc mon cours, et tu trouveras un endroit fort choupi, avec sept collines escarpées, où règne l'Arcadien Euandrus.

"Evandrus a fondé une ville sur une colline qu'il a appelée Pallanteum à cause de son ancêtre Pallas. Charmant coin. Tes descendants kifferont. Surtout le type qui y fera construire son palais et financera l'écriture de cette épopée. BREF. Va lui demander de t'aider dans ta baston. Et oublie pas de sacrifier à Junon. Allez, à plus dans le bus !"

Énée se réveille en sursaut, fait une prière aux nymphes du patelin et arme illico deux navires pour remonter le fleuve.

Or que voit-il sur une rive ?

La truie blanche annoncée par son rêve, eh oui !

Qu'il s'empresse de sacrifier à Junon et en quelques vers vite fait. Encore une prophétie réalisée de manière bien anticlimactique.

Et sur ce, en pleine nuit, deux des bateaux d'Énée, avec Énée et d'autres zigs importants de l'armée troyenne dessus , remontent discrétos le cours du fleuve vers le site aux sept collines (wink wink).

Il laisse derrière lui le gros de ses compagnons avec l'ordre de ne pas engager le combat.

Car oui, Virgile nous annonce de la guerre depuis au moins le début du chant VII, mais hélas, après avoir retardé la description du conflit avec une invocation aux Muses, un exposition dump, une escarmouche bof bof, un long catalogue, il nous montre Énée se lançant hardiment dans... UNE MISSION DIPLOMATIQUE.

Au lieu d'une bourrinade. Je suis déception. Je voulais du sang, moi.
Fichus poètes cryptopacifistes.

Après 6 à 8 heures de navigation fluviale, Énée arrive au royaume d'Evandrus.

Il tombe au milieu d'une cérémonie à Hercule, que célèbre le roi Evandrus avec son fils unique Pallas. Ce que voyant, Pallas aborde les Troyens avec une grosse lance bien menaçante.
"Wooh zêtes qui ? Vous faites quoi dans le coin ?
– Nous tape pas, on est des gentils, on veut être vos amis, dit Énée.
– PAPAAA ! Ils disent qu'ils veulent être nos amis !
– Oui, on veut être vos amis (long discours de 24 vers pour dire comment ce serait trop cool si les Troyens et les Arcadiens étaient tous amis)"

– Eeeeh mais c'est pas le ptit Énée ? répond le vieux roi Evandrus, tu sais que j'ai bien croisé ton papa quand j'étais jeune en Arcadie ? Je me rappelle, j'étais jeune, il était fort, il avait une belle armure, je le regardais avec des étoiles dans les yeux, haha nous étions jeunes."

Le vieux et radoteur Evandrus accueille les Troyens à bras ouverts à son sacrifice, et tant qu'à faire, il leur raconte l'origine de ce sacrifice.

Car bon. Vous l'avez compris, on est sur le site de Rome.

Histoires Mythiques

Et comment Virgile pourrait-il passer l'occasion de nous ressortir tous les mythes liés au site de Rome ?

Donc, écoutons tou.te.s Evandrus en guise de père Castor.

"Il y a longtemps, dans une caverne sur cette colline [de l'Aventin, NDLR], vivait Cacus, fils du dieu Vulcain et dont le nom veut littéralement dire méchant en grec latinisé. Vous imaginez bien qu'il élevait pas des petits chatons. C'était un géant qui crachait du feu et il décorait sa piaule avec des têtes humaines sur des pieux."

"Un beau jour, le héros Hercule passa dans le quartier. Il revenait de son travail numéro 10 ou 11, voler les troupeaux du terrible Géryon, un autre géant mais avec, lui, trois corps, l'anatomie des géants est mystérieuse. Hercule avait occis Géryon et poussait devant lui les troupeaux. Or Cacus, fidèle à sa non-gentillesse, lui piqua nuitamment 4 taureaux et 4 vaches, qu'il fit marcher jusqu'à sa caverne, à l'envers pour flouer Hercule. Spoiler : ça n'a pas marché. Car les vaches, ça meugle."

"Les vaches volées meuglèrent alors que Cacus les avait déjà planquées dans sa caverne. Hercule s'aperçoit du vol et rapplique vite fait, pas top jouasse, sa massue dans une main, son arc sur le dos, sa peau de lion sur la tête et des velléités giganticides. Mais voilà : Cacus était à l'abri dans sa caverne sous la colline, l'entrée bien verrouillée. Hercule cherche à entrer. Il trouve pas la porte. Il fait le tour de la colline. Il trouve toujours pas. Mais Hercule est pas du genre qui renonce.

"Et alors, tous les gens du pays sont venus contempler le géant étranglé au cadavre blafard et exorbité, et depuis nous faisons la fête en mémoire de ce jour."

On fait donc des libations et des sacrifices à Hercule, des prêtres viennent chanter dans des hymnes son enfance et ses travaux, la lectrice songe en soupirant à l'épopée top cool que Virgile aurait pu écrire sur Hercule, puis Evandrus emmène Énée dans sa ville. Au passage, il lui raconte les mythes des sept collines, ÉVIDEMMENT.

Et là c'est la colline où le dieu Saturne a régné pendant l'âge d'or juste après que Jupiter l'a chassé du trône du monde ; et puis après y a eu un roi nommé Thybris qui a donné son nom au Tibre ; et là la nymphe Carmentis a prophétisé la venue d'Énée et la gloire de Rome... et là c'est tel endroit qui sera tel quartier, là le futur Capitole... bref, c'est un peu comme si Énée visitait Rome par anticipation. Du tourisme en rase campagne avec un guide touristique venu du futur.

Mais pendant qu'Énée faisait du tourisme, quelqu'un pensait à la baston qui se prépare, et ce quelqu'un n'était pas seulement le public qui commence à vouloir de l'action : c'était Vénus, maman d'Énée.

Et Vénus, elle trouve qu'Énée a pas un équipement gégé. Elle préférerait que son fiston trouve une armure en mithril + 120 contre les attaques au corps à corps avant de se battre contre le boss.

Elle va donc voir Vulcain.
"Mon cher époux...
– Wooh, tu m'as pas trompé avec Mars dans l'Odyssée ?

– Ouiiiiii mais vois-tu, on est dans l'Énéide, une épopée financée par un dirigeant à la morale conservatrice qui a passé des tas de lois anti-adultère alors, mon cher époux, je reviens à toi ! Tu me ferais pas une armure pour Énée ? T'en as fait une pour Achille dans l'Iliade ! Tiens, je te fais des caresses envoûtantes.
– Mggnntout ce que tu veux ma déesse, des armures des épées des écus tout ce que tu veux, baisons juste comme des fous sans enfreindre la morale de l'empereur Auguste.

Après une solide nuit d'amour conjugal, à l'heure où se lèvent les plus matinales des maîtresses de maison laborieuses (cette comparaison est de Virgile), Vulcain se lève et file à son atelier du mont Etna. Il y trouve ses employés les Cyclopes au travail, et que Virgile décrit forgeant la foudre de Jupiter dans une de mes nouvelles descriptions préférées.

"Arrêtez tout ce que vous faites et lancez-vous dans une nouvelle mission ASAP !", leur rugit Vulcain tel votre propre manager toxique.

Les Cyclopes se jettent sur la nouvelle tâche avec la fébrilité de stagiaires dans une start-up. Qui coule du métal, qui le tord, qui le frappe avec un gros marteau...

Cependant, dans le monde des hommes, Evandrus se réveille, va avec son fils Pallas trouver Énée et lui dit :
"Écoute, fils, pour ta guerre avec les Rutules, ça t'arrangerait une armée immense de vaillants guerriers d'Italie ?
– Euuuuh... Oui ?
– Parce que, vois-tu, j'ai une histoire à te conter.
– Euuuh... Non ?

– Non loin d'ici, conte Evandrus, se dresse la cité étrusque d'Agylla, dont le roi était Mezentius ! Mezentius qui condamnait ses prisonniers à être enchaînés bouche-à-bouche avec des cadavres jusqu'à ce qu'infection et mort dégueu s'ensuive ! Les Etrusques se sont révoltés contre lui et Mezentius a fui pour s'allier à Turnus le Rutule. Un prophète a dit aux Etrusques de chercher un étranger pour mener leur immense armée botter le cul de Mezentius ; et si c'était toi ? Moi, je suis trop vieux."

Pendant que la lectrice se remet de sa surprise devant un récit qui fait enfin avancer le schmilblick, Énée et son poteau Achate qui l'accompagne font les timides. Mais là, paf ! Un miracle ! Encore ! Ca devait être le premier mercredi du mois.

Cette fois, la foudre tonne dans un ciel bleu, on entend un son de clairon et des visions d'armes rayonnent dans les nuages.

"Cherchez pas, c'est pour moi, fait Énée. Ma maman me dit qu'elle m'aidera. Pauvre Turnus, Je vais le taper, ça me triste 😢 "

Donc on accepte le deal, les Arcadiens vont conduire Énée à l'armée étrusque et Pallas, le fils d'Evandrus, va l'accompagner. Vous ai-je dit que Pallas était le fils unique du roi ? Qu'il était jeune, fort, intrépide, plein d'avenir ? Que son papa s'est mis à chialer toutes les larmes de la terre lors de leur séparation et qu'il a réclamé aux dieux de ne prolonger sa vie que si son fils devait lui revenir vivant, avant de s'évanouir ? Vous le sentez, le foreshadowing, là ?

Sur ce, Énée part.

Il chevauche vers l'armée étrusque quand, à la faveur d'une halte dans la forêt pour désaltérer les chevaux, Vénus vient lui dire kikou.

"Kikou, ô mon fils.
– Maman ! Fais-moi un câlin !
– Oui, fils. Voici un câlin. Mais surtout, voici des armes divines forgées par Vulcain.
– Maman ! Mais mate-moi ce matos ! Trop classe ! Je ressens le besoin d'interrompre la narration par une longue description !"

Car oui. Voilà le grand moment. Celui qui fait saliver le lecteur latin. Celui de l'ekphrasis.

Alors, pour celles et ceux qui ne sont pas bilingues français/théorie littéraire, l'ekphrasis est, en poésie, la description détaillée d'un objet d'art ; c'est aussi un passage obligé de la poésie épique depuis que le chant XVIII de l'Iliade décrit longuement le bouclier d'Achille.

Eh bien Virgile nous décrit longuement le bouclier d'Énée.

Le bouclier d'Achille montrait des scènes de guerre et de paix dans une sorte de résumé du monde.
Le bouclier d'Énée va montrer mieux. Il va montrer Rome.

Et Virgile de nous décrire les épisodes de l'histoire de Rome gravés sur le bouclier. Il y a Remus et Romulus, la fondation, l'enlèvement des Sabines, les rois de Rome, le roi Tullus Hostilius qui écartèle un type qui n'a pas tenu sa parole, Coclès qui défend un pont, les Gaulois qui se font repérer par le cri des oies sacrées, non mais lisez Tite-Live je vais pas vous expliquer tous ces épisodes, et même le monde des morts mais avec Caton à la place de Minos et Catilina au Tartare.

Mais surtout, au centre du bouclier et à la fin du livre VIII, il y a beaucoup trop de vers décrivant la bataille d'Actium, la grande victoire de l'empereur Auguste protecteur de Virgile contre son rival Marc Antoine et la reine Cléopâtre (oui, cette Cléopâtre, et c'est pour ça que vous la connaissez), avec Auguste en triomphe, Cléopâtre qui fuit terrorisée, bref, Virgile fait du léchage de bottes dans les grandes largeurs, il doit avoir les papilles tannées à ce stade.

Et Énée observe ravi ce bouclier couvert de trucs qu'il ne comprend pas très bien mais dont il saisit que c'est son futur.
Et pour la baston, rendez-vous au livre IX.

Merci pour la lecture, et à très vite pour plus d'action ! (promis)

(Commentaire de mon cher et tendre à la lecture : "mais en fait, il s'est rien passé ?")

@hist_myth autrement dit, peut-on dire qu'hercule devant rien ?

@hist_myth et on fait quoi pour le (pas) subtil indice de ses infidélités passées qu'est l'existence même d'Énée ?

@Brytnuts Bwarf woooh tout de suite on cherche la petite bête boooh

@hist_myth
Faire marcher une vache à l'envers pour être discret...v'la le stratagème...on voit bien que celui qui a inventé cette histoire n'a jamais essayé de faire reculer une vache.

@s_mailler Peut-être que c'est plus facile si t'es un géant qui crache du feu, je sais pas